Le Cep réunit des animateurs de Pec Isère et des chercheurs : Pierre Muller et Françoise Gerbaux, de Sciences Po et François Pernet de l’Inra. Ce dernier, rapidement, inverse la proposition qui sous-tend la thématique de départ en posant la question : "pourquoi y a-t-il encore des paysans en montagne aujourd’hui ? S’ils avaient suivi les conseils qui leur ont été donnés, ils auraient disparu !"
Le Cep décide alors, pour répondre à cette interrogation, d’entreprendre des visites d’exploitations agricoles et des interviews d’agriculteurs. La question qui leur est posée est : "Pourquoi êtes-vous encore là et comment faites-vous pour exister ?"
Cette attitude provoque un premier étonnement de la part des agriculteurs qui disent : "comment se fait-il que vous nous posiez des questions ? D’ordinaire, on vient nous dire ce qu’il faut faire !"
Du coup, l’intérêt est réciproque et un groupe se constitue autour de trois types de personnes : des animateurs de Pec Isère, des chercheurs de l’Université de Grenoble [1] et des paysans. Le groupe élabore une réflexion et met en œuvre des actions. Des dates jalonneront cette histoire :
- 1979, lancement du Cep rural et visites d’exploitations ; émergence de thèmes sur lesquels se constituent des groupes de travail avec l’objectif d’abolir les obstacles au développement des petites exploitations de montagne, en travaillant les questions de mécanisation, de transformation des produits, de commercialisation, des relations entre éleveur et vétérinaire, d’accueil à la ferme…
- 1981, la revue Alternatives paysannes est créée et publie les analyses élaborées dans les groupes de travail qui continuent leur réflexion ;
- 1982, premier tournant, avec l’invention du concept de "paysan-animateur". L’idée est que, pour développer les thèmes de réflexion, il faut que les groupes soient animés par des paysans et non par des animateurs professionnels. Dix paysans-animateurs sont
alors mis en fonction. Ils sont remplacés sur leurs exploitations pendant 20 heures chaque semaine pour assurer l’animation de groupes.
Ce dispositif permet de concrétiser des projets comme le yéti (un tracteur de montagne auto-constructible qui remporte un vrai succès) ou la mutuelle éleveurs / vétérinaires qui est rapidement montée ;
- 1985, l’avancée de la réflexion sur les systèmes d’exploitation amène Pierre Muller à proposer le concept "d’exploitant rural" ;
- 1986, une rencontre avec l’équipe de Bertrand Schwartz qui travaille sur les nouvelles qualifications permet d’avancer vers la mise en place d’une nouvelle formation pour ce nouveau métier d’exploitant rural ;
- 1986-87, une promotion entreprend la formation d’exploitant rural sur deux ans ;
- 1986, création de Relier qui cadre les rencontres nationales organisées depuis 1981 ;
- 1987, création de l’Accueil Paysan ;
- 1992, création d’ Asfodel qui reprend le flambeau de Pec Isère pour la formation.
Les points dominants qui caractérisent cette histoire :
- au point de départ, l’inversion, par un intellectuel, d’une idée d’intellectuels ;
- l’alliance réussie entre des paysans, des chercheurs et des animateurs : "la mayonnaise prend" et les conditions sont réunies pour que se construisent un discours et une analyse ;
- dans la période 82/85 le débat porte sur la question de savoir si les pratiques paysannes sont des pratiques de résistance (thèse de Pernet) ou des expériences novatrices ; La seconde thèse l’emporte et débouche sur la définition d’un nouveau métier pour lequel sera construite une nouvelle formation
- dès le début du processus, il y a eu recherche d’élargissement des contacts aux niveaux régional et national, avec volonté d’ouverture au milieu rural et au-delà ;
- la méthode de travail est très pragmatique : l’adaptation aux questions émanant des expériences locales est permanent ;
- le respect de la "parole paysanne" (c’est le nom d’une rubrique d’ Alternatives paysannes - puis Alternatives rurales), mise en perspective avec des analyses plus générales.